Pour le seul mois de juin 2022, les startup évoluant sur le continent africain ont levé 426,28 millions USD, renseigne Tech Cabal, spécialisée dans la publication de l’actualité de l’écosystème technologique et numérique africain.
Selon Tech Cabal, au cours du mois de juin, 36 opérations ont été menées pour pouvoir atteindre le montant évoqué. Les startup proposant les services financiers numériques ont été les plus actives avec 71,7% de levées, soit un montant de 305,43 millions de dollars.
Les startup energytech viennent en seconde position avec 35,7 millions de dollars captés (8,4% du total) et les startup de mobilité/logistique occupent la 3ème marche du podium, avec une levée de 32,7 millions de dollars (7,7 %). Par ailleurs, il faut relever que les levées du mois de juin 2022 ont été principalement réalisées par les startup technologiques d’Afrique du Nord, dont le total des mobilisations sur la même période correspond à 40,7% des levées globales.
Les startup technologiques d’Afrique du Sud et de l’Ouest suivent respectivement avec 29,9% et 18,6% de part, quand celles d’Afrique de l’Est n’ont capté que 1,08% de l’enveloppe des levées.
Au premier semestre 2022, ce sont 2,79 milliards de dollars américains qui ont été levés par ces startup, une enveloppe en progression de 134,25 % par rapport à 1,19 milliard de dollars levés à la même période en 2021.
Ces dernières années, l’Afrique connaît la plus grosse croissance en capitaux à risque dans le monde avec un dédoublement des activités entre 2020 et 2021 et des montants investis qui ont triplé, passant de 2 à 6 milliards de dollars.
La francophonie est par ailleurs complètement absente du top 3, qui est occupé par le Nigéria 34%, suivi de l’Afrique du Sud et de l’Égypte. Seul le Sénégal, très bon élève avec le programme DER/FJ, se trouve à la 5ème position.
Les pesanteurs linguistiques dans la balance
L’effet levier de croissance des entrepreneurs dans les deux espaces, francophone et anglophone, est une résultante de plusieurs facteurs, mais plus particulièrement de deux principaux aspects. Il s’agit d’abord de la solidité des écosystèmes des pays anglophones, par rapport aux différents modèles d’affaires et les disparités du climat des affaires, qui sont souvent très fragiles par l’instabilité politique dans les régions francophones.
Ensuite il faut épingler l’influence de la France et du Royaume-Uni sur les écosystèmes entrepreneuriaux. Il suffit de faire une comparaison sur la guerre économique interne et externe des deux anciennes puissances coloniales en termes de politique de promotion des startup.
En Afrique francophone, l’héritage du système français reste prépondérant dans les milieux des affaires et des marchés financiers locaux. À ce jour, la France est classée 2ème pays du monde le plus complexe pour entreprendre un business, sur le classement 2021 de l’Indice de complexité globale des affaires, après le Brésil, au moment où le Royaume-Uni, lui, caracole à la 53ème position.
Rappelons qu’en 2021, 640 start-up technologiques africaines ont levé un total de 5,2 milliards de dollars. Cette croissance, 3,6 fois plus élevée par an, fait de l’Africa Tech VC l’écosystème à la croissance la plus rapide au monde.
Trois modèles d’approche des investisseurs
Le modèle nigérian consiste à se constituer en société en dehors du pays, en mobilisant des fonds de l’extérieur. Selon Partech, les startup nigérianes ont reçu le plus d’investissements en 2020, pour une valeur totale de 307 millions de dollars dans 71 transactions, soit une taille moyenne de transaction de 4,3 millions de dollars.
En 2019, le Nigeria a également reçu le plus d’investissements en termes de valeur. L’investissement au Nigeria est intéressant car, selon le rapport Briter, ce pays n’est même pas dans les cinq premiers du classement des startup par pays d’incorporation.
La plupart des startup opérant au Nigeria, qui lèvent des fonds, ne sont pas constituées dans le pays. Ce phénomène est probablement dû à la difficulté de faire des affaires sur son sol, ce qui est confirmé par son faible classement Doing Business 2020, qui le note 131ème sur 190 pays dans le monde.
Le modèle kenyan
Le modèle kenyan consiste à rechercher des capitaux dans le pays où les sociétés ont été constituées. L’investissement en capital-risque au Kenya, en proportion du PIB, est le plus élevé d’Afrique, à 0,32% du PIB, ce qui est supérieur au même ratio pour l’Asie (0,27%) et pour l’Europe (0,16%) mais derrière l’Amérique du Nord (0,57%) et les États-Unis (0,61%). L’investissement en capital-risque par habitant au Kenya en 2020 était de 5,80 dollars. Ce qui est également le plus élevé d’Afrique. Nous pouvons déduire du graphique que le Kenya semble être le marché africain du capital-risque le plus avancé, car il reçoit plus d’investissements qu’il ne le devrait, compte tenu de son PIB par habitant, démontrant ainsi l’attraction et la politique du pays à s’ouvrir à l’investisseur étranger.
L’assistanat à la française
Le modèle à la française pour les pays francophones, qui consiste à se tourner vers le gouvernement, à l’exemple du Sénégal, avec le programme lancé par le président Macky Sall intitulé la Délégation générale à l’Entreprenariat rapide des Femmes et des Jeunes (DER/FJ) comme un fonds de garantie pour les institutions financières afin de faciliter l’accès au financement des startup et PME.
Le financement initial propre de l’État sénégalais de près de 54,4 milliards et l’accompagnement technique pour les entrepreneurs ont été suivis d’un déploiement de 150 millions de dollars dont 124 millions de la Banque Africaine de Développement (BAD) pour soutenir la contrepartie du gouvernement sénégalais.
Cette méthode purement d’assistanat du gouvernement à la population, ancrée même dans le système français utilisé dans tous les domaines sociaux et économiques, semble avoir été fidèlement copiée par la plupart d’anciennes colonies françaises.
Elle est utilisée par l’Agence française de développement dans plus de 34 pays dans le monde via ARIZ (Accompagnement du risque de financement de l’investissement privé en zone d’intervention), une garantie en perte finale proposée par l’AFD aux institutions financières pour couvrir 50 % à 75 % d’un prêt individuel ou un portefeuille de prêts aux PME et aux institutions de microfinance (IMF).
Fasep garantie (Fonds d’étude et d’Aide au Secteur Privé), de son côté, soutient l’implantation et le développement de PME françaises à l’étranger, dont 86% des garanties accordées par l’AFD en 2016 étaient destinées à l’Afrique subsaharienne.
Le Sénégal s’est hissé pour la première fois dans le top 5 grâce à sa première licorne Wave et devient le troisième pays d’Afrique à avoir produit une entreprise de plus de 1 milliard de dollars, après le Nigeria et l’Égypte.
En dehors du Sénégal, on peut voir l’émergence d’économie entrepreneuriale notamment en Afrique du Nord, qui semble prête à montrer ses muscles. Le Maroc est en tête, suivi par la Tunisie et l’Algérie. La région a levé 108,8 millions de dollars (+443 % par rapport à l’année précédente) en 31 opérations.
Ce modèle d’assistanat est un des blocages majeurs de la croissance des startup en Afrique francophone, car toujours en attente d’appui du gouvernement. Et avec la multitude de crises politiques, de coups d’État et de pouvoir souvent très corrompu notamment, les pays francophones ferment la marche du classement de l’indice de corruption de Transparency International, avec la RDC, Congo, Guinée, Comores, Madagascar et Tchad.
L’écosystème business national des pays francophones et anglophones est largement influencé et hérité des modèles des anciennes colonisations française et anglaise. Dirigisme en France et liberté d’entreprendre au Royaume-Uni. En notant que le dernier rapport Doing Business 2020 classe la France 31ème très loin derrière le Royaume Uni, qui occupe la 8ème place.
Malgré un discours choc du président Macron en faveur de l’entrepreneuriat des jeunes, en vue d’inverser la tendance, les chiffres sont têtus. Selon le rapport du Global Entrepreneurship Monitoring 2021, à travers une enquête menée sur les populations de 18 à 64 ans, 61% des Français considèrent ne pas avoir les compétences et les connaissances requises pour devenir entrepreneurs, contre 48.9% au Royaume-Uni. 48% disent qu’il est très difficile de lancer une entreprise, contre 29.3% chez les Anglais.