Cela fait une bonne douzaine d’éditions depuis que nous nous sommes donné le devoir de faire revivre pour nos lecteurs ces gens de couleur qui ont marqué l’Histoire de leur société. Il est aujourd’hui plus que temps pour nous – à tout seigneur tout honneur – de remettre les pendules à l’heure et de signaler la source de cette richesse incommensurable. Il s’agit en effet des extraits tirés de l’ouvrage Mémoire du Monde noir, écrit en 2005 par David Gakunzi, à qui nous présentons nos hommages pour la qualité de la recherche.

« Un peuple qui a la mémoire courte est un peuple qui n’a pas d’avenir »

Count Basie : Il aimait jouer

William « Count » Basie est sans doute l’un des plus grands du jazz. Pianiste et chef d’orchestre né en 1904 à Red Bank dans le New Jersy, il constitue en 1935 un orchestre qui s’impose rapidement. Renouvelé pour son style direct et efficace, appuyé sur une section rythmique inégalée. Count Basie est mort en novembre 1984.

Count Basie aimait jouer. Même malade il jouait. On le poussait su un fauteuil roulant jusqu’à son piano et il jouait toute la nuit. Comme un marathonien qui ne s’arrêtera qu’écroulé, à bout de souffle. Appuyé par des cuivres éclatants, des saxophones pulpeux, une section rythmique régulière et souple, au son reconnaissable entre mille autres, il jouait des notes aussi petites que ses yeux. Et la pure énergie se métamorphosait et se civilisait en swing pour délivrer l’allégresse. Brouillon mais subtile, sophistiquée mais sans fard, sa musique était un hymne à l’élégance de la nature et à l’existence de la vie.

Count Basie était un génie du tempo. Trop rapide ou lent, il jouait avec la sensibilité d’un danseur. Count Basie aimait jouer.


Moumier : empoisonné

Né en 1925, Félix Moumier fut l’un des leaders historiques de l’UPC (Union des Populations du Cameroun) dont il fut le président de 1952 à son assassinat le 3 novembre 1960 en Suisse. Docta Moumier était de ceux qui dans leur vie se sont assigné de ne jamais s’écarter du droit chemin. Juste et fraternel, il disait toujours la vérité sans haine à ceux qui mentent. Docta Moumier n’est pas mort terrassé par un dragon à mille têtes, ni par un génie hantant les montagnes. Il est mort empoisonné.


Haïlé Sélassié : couronnement de l’empereur

Le 2 novembre 1930, Haïlé Sélassié est couronné roi d’Éthiopie. Né le 23 juillet 1892 et mort le 27 août 1975, Haïlé Sélassié a été le dernier Négus d’Éthiopie. S’il a été l’artisan de la résistance de l’Éthiopie contre la pénétration coloniale, l’Empereur aura laissé son peuple croupir dans un semi-esclavage ; le pays appartenant à des grands propriétaires fonciers. Yeux pétillants et malicieux, collier de barbe brune, cheveux crépus. Par la taille il est le plus petit : 1,58 mètre. Par ses titres il est le plus grand : roi des rois, lion conquérant de la tribu de juda, défenseur de la foi chrétienne, élu de Dieu et Empereur d’Éthiopie. Il descend, dit-on, en droite ligne de la reine de Saba et du roi Salomon.   


Alexandre Pétion : la tête droite

Homme politique haïtien né en 1770, Alexandre Pétion est le fondateur de la république de Haïti. Il est aussi celui qui a donné à Haïti sa première constitution en 1816. En 1818, Pétion décide de mettre fin à ses jours à cause de la guerre sur l’île entre mulâtres et noirs, qu’il n’arrivait pas à arrêter. Petit, Pétion marchait grand, la tête droite comme quelqu’un appelé à un grand dessein. Quand Bolivar sans argent, sans ami vint le voir, Pétion l’accueillit et l’interrogea : « Comment peux-tu libérer une terre sans libérer ses habitants, je veux dire les esclaves ? » Petit, Pétion marchait grand, la tête droite comme quelqu’un appelé à un grand dessein. Tout ce qu’il voulait c’était la liberté pour tout le monde : « Toutes les nations sont les mêmes. Mais à elle seule chacune est tout le monde. Toutes les nations doivent être libres. Pour que tout le monde puisse être libre. » Petit, Pétion marchait grand, la tête droite comme quelqu’un appelé à un grand dessein.


Luanda : De quoi demain sera-t-il fait ?

Le 11 novembre 1975, l’Angola accède à l’indépendance dans un climat de guerre. Les statues et les monuments rappelant la colonisation ont été recouverts, déplacés ou saccagés. Les rues pavoisent discrètement : quelques drapeaux du MPLA par-là, quelques banderoles rappelant les palavros de ordem (mot d’ordre) du mouvement par-ci. L’indépendance, la fin de 500 ans d’occupation coloniale portugaise, c’est pour tout à l’heure. Mais il n’y aura pas d’explosion de joie. Les visages sont graves et inquiets : le FNLA et l’armée zaïroise sont à 17 km de la capitale, et la colonne blindée sud-africaine équipée de matériel ultramoderne à 260 km.

De quoi demain sera-t-il fait ?

À zéro heure Agostino Neto proclame la naissance dans le sang de la RPA. Le drapeau portugais descend, le drapeau angolais monte. Sur un fond rouge et noir une demi-roue dentée croise une machette. Le tout est surmonté d’une étoile à cinq branches. Paysannerie et classe ouvrière unies sous le signe de l’internationalisme. Tout un programme. Mais de quoi demain sera-t-il fait ?  Une banderole à l’entrée d’une mucèque donne une réponse optimiste : A vitória é certa !


Machado de Assis : Quand il écrivait il s’envolait

Né en 1837 à Rio de Janeiro, Machado de Assis est encore aujourd’hui une référence incontournable de la littérature brésilienne. Nouveliste, romancier et poète, ses écrits sont caractérisés par la simplicité et le pessimisme romantique. Il est mort en 1908. 

La vie est courte, l’âme vaste, était convaincu Machado de Assis. Alors quand il écrivait il s’envolait. Il avait des ailes. Il pratiquait le culte de la littérature, il savait faire parler avec chaleur les choses inanimées. Par la magie de son verbe il pouvait même faire sentir l’odeur de terre sous la pluie. Changeant constamment de style d’écriture, il ne brada pourtant jamais son âme. Il fit des vagues dans la littérature de son époque.

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